Alors que la formation à l’intelligence artificielle (IA) prend enfin sa place dans le paysage éducatif belge, le constat est double : l’offre se structure rapidement, mais elle demeure encore inégale. D’un côté, la Fédération Wallonie-Bruxelles multiplie les initiatives à travers ses réseaux de formation continue (CECP, SeGEC, FELSI, IFPC) ; de l’autre, la Flandre bénéficie d’une politique bien plus ancienne et coordonnée autour du Kenniscentrum Digisprong, qui depuis 2019 investit massivement dans la formation des enseignants et l’intégration responsable de l’IA à l’école.
Un paysage en construction
Les formations en IA en Fédération Wallonie-Bruxelles se déploient désormais dans tous les réseaux. Le CECP propose des modules centrés sur les usages pédagogiques et les enjeux éthiques ; le SeGEC a publié ses Balises pour une utilisation responsable des systèmes d’intelligences artificielles, véritable référence en matière de cadre éthique ; la FELSI et le CPEONS accompagnent la transition numérique de manière pragmatique.
Mais c’est surtout le Parcours Référent·e IA, lancé par l’EduLAB et reconnu par l’IFPC, qui incarne le tournant de 2024 : une formation modulaire, gratuite et reconnue, déjà suivie par des centaines d’enseignants. À côté, la HELHa et la HE Léonard de Vinci inaugurent un Certificat en IA pour les enseignants, première certification créditée (10 ECTS) du genre en Belgique francophone.
Face à cela, la Flandre affiche une avance nette : politique structurée depuis six ans, financements pérennes (32 millions €/an), dispositifs de recherche et de formation intégrés du primaire à l’université. Le contraste est parlant : quand la Flandre planifie, la Wallonie expérimente.
L’IA comme enjeu pédagogique, pas seulement technique
Chez Pedagogia, nous observons que la véritable question n’est pas quoi faire avec l’IA, mais comment penser avec elle. Former les enseignants à l’IA, ce n’est pas seulement apprendre à utiliser ChatGPT ou Midjourney ; c’est interroger notre rapport au savoir, à la vérité et à la formation du jugement.
Notre formateur Rémy Van de Moosdyk, qui intervient de plus en plus souvent sur ces questions en France et en Belgique, souligne souvent que « le numérique n’est pas une fin en soi, mais un support de réflexion ». C’est dans cet esprit qu’il anime, avec Sophiae, des formations qui lient inclusion, différenciation pédagogique et esprit critique. L’objectif n’est pas de courir derrière la technologie, mais de permettre aux enseignants de garder un niveau d’expertise critique suffisant pour accompagner leurs élèves au-delà du copier-coller.
Une anecdote vécue en formation illustre cette approche : une professeure d’arts plastiques regrettait que les générateurs d’images gratuits limitent le nombre de créations quotidiennes. Rémy lui a proposé d’y voir une chance : faire dessiner d’abord aux élèves ce qu’ils veulent générer, écrire ensuite le prompt correspondant, l’échanger avec un camarade, comparer les résultats, débattre, puis seulement lancer la génération finale. L’outil devient alors un prétexte pour apprendre à penser : à nommer, à anticiper, à interpréter.
De l’esprit critique à la posture éducative
Lors de la Biennale de l’Éducation Nouvelle à Nantes, Philippe Meirieu a rappelé combien l’école devait rester un lieu d’émancipation et non de consommation :
« Le professeur ne s’adresse pas à des usagers-clients, mais à des élèves qu’il doit élever… L’école n’est pas le lieu du développement personnel, mais celui du dépassement collectif. »
Dans ce contexte, la pédagogie active a un rôle essentiel à jouer :
- Refuser l’anthropomorphisation de la machine : l’IA n’est pas un interlocuteur, mais un instrument.
- Réaffirmer la place du maître : non pour transmettre des certitudes, mais pour construire le doute, la mise en question, la recherche du vrai.
- Transformer la contrainte en levier : chaque limite technique peut devenir une situation d’apprentissage.
Et maintenant ?
La formation en IA dans les écoles belges avance vite, mais elle gagnerait à s’ancrer plus fermement dans une réflexion pédagogique et philosophique. Former à l’IA, c’est former à penser la pensée automatisée, à distinguer savoir et opinion, à cultiver le manque, comme le disait Fernand Oury.
Pedagogia s’engage à accompagner cette transition en proposant des formations qui articulent IA, pédagogie différenciée et éthique éducative. Car, en fin de compte, ce que révèle la technologie, ce n’est pas notre rapport à la machine, mais notre rapport au savoir.
Article préparé par Pedagogia ASBL – novembre 2025, d’après une recherche complète sur la formation à l’IA en Belgique et en Flandre, et les réflexions de Philippe Meirieu (Biennale de l’Éducation Nouvelle, 2024).



